
Jean Pézennec manie avec talent le verbe et l'humour dans ses nouvelles, parues aux Éditions Le Gaulois nomade®. Le mathématicien a délaissé son univers des nombres sans pour autant perdre le sens de la formule... Il déchiffre la genèse de cet ouvrage réjouissant et parle des livres qui vont peut-être suivre... On compte sur lui !
Le Gaulois nomade® : Vous faites de la nouvelle courte votre signature, pourquoi avoir choisi ce format ?
Jean Pézennec : Je ne l’ai pas choisi, ce format s’est imposé à moi, il doit correspondre à ma forme d’esprit. En tant que lecteur aussi, je préfère les nouvelles et les petites proses aux romans. Ceci ne veut pas dire que je sois insensible aux beautés d’un roman. Il m’arrive d’en lire. Mais elles m’attirent moins, et me touchent moins intimement. Je ne peux que constater que les envies d’écriture et les idées qui me viennent m’amènent naturellement à écrire des nouvelles et des proses courtes. Je n’ai pas le goût des intrigues élaborées, avec des entrecroisements de personnages. Même si je le voulais, je pense n’avoir pas le don de concevoir aisément de telles intrigues. Mes nouvelles reposent en général sur un scénario assez simple, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient simplistes. Sur un même scénario simple, une infinité de variantes de ton, de construction, de rythme du texte sont possibles.
Parlez-nous de la galerie de personnages centraux qui animent les 15 nouvelles de ce recueil. Ont-ils des points communs ?
La moitié environ des nouvelles du recueil ont pour personnages centraux des femmes ou des hommes appartenant à la catégorie des gens qu’on dit « ordinaires », qui souvent ne le sont nullement, ordinaires : un pilier de bar, une femme âgée vivant seule dans une tour HLM, une femme de ménage, un couple de Français moyens, une femme au foyer. Je m’inspire dans ce cas de personnes réelles que j’ai connues ou croisées, et je peins de façon subjective la vie de ces gens « ordinaires » tantôt en les plongeant dans une action fantastique ayant pour cadre leur cadre de vie habituel, tantôt en déroulant leur monologue intérieur, nourri de leurs rêves ou de leurs délires, face à une situation banale de leur vie quotidienne. L’autre moitié, ce sont des nouvelles faisant la satire de certains comportements ou de certains travers de société. Dans ces textes de type satirique, je pratique le grossissement du trait, l’absurde, le décalage, l’humour noir. Les héros divers de ces nouvelles, faux poète, comédien qui se la joue, vacanciers franchouillards, jaloux obsessionnel et cetera, sont alors plus des caricatures à la Daumier de types humains, ou des personnages de théâtre d’ombre façon Karagheuz, que de vrais personnages au sens où on l’entend habituellement.
Vos histoires flirtent avec l’humour, la dérision, mais pas seulement. Comment définiriez-vous votre style ?
Je dirais que j’écris des textes où l’humour est toujours présent, sous des formes variées, tirant tantôt vers l’humour noir tantôt vers la satire tantôt vers l’absurde tantôt vers le délire verbal, mais des textes qui, au delà de l’humour, de la bouffonnerie ou du grossissement du trait, s’inscrivent toujours dans une certaine réalité, bien que jamais purement réalistes. Certaines nouvelles ont même, derrière la drôlerie, un fond plutôt triste. Par exemple Traversée, basée sur le monologue intérieur burlesque d’un poivrot solitaire qui tente sous la pluie de traverser une quatre-voies très passante et est révolté par l’indifférence du monde extérieur. Humour, donc, oui, et revendiqué. Mais je n’emploierais pas le terme « dérision » pour parler de ce que j’écris. Le mot, me semble-t-il, recèle une nuance de nihilisme. Tourner le monde en dérision, c’est rire de tout indistinctement. Je ne ris pas de tout indistinctement. Dans mes nouvelles de type satirique, ma cible, ce sont les ridicules et les faux-semblants, jamais certaines valeurs auxquelles je crois. Et dans les autres nouvelles, celles dont les héros sont des femmes ou des hommes « ordinaires », je suis plutôt en empathie avec mes personnages, l’humour vient de l’intérieur du personnage, de son verbe, de sa façon de voir le monde.
Écrire s’apprend-il ?
Je pense qu’écrire s’apprend mais ne s’enseigne pas. Je veux dire par là que chaque auteur a besoin de faire son apprentissage, d’améliorer petit à petit, au fil du temps, à force de travail et de réflexion, son style, sa connaissance de lui-même et de ce qu’il peut écrire et de comment il peut l’écrire étant donné ce qu’il est. Peuvent aider à cet apprentissage les réflexions sur l’écriture qu’il lit chez d’autres écrivains ou les critiques qu’on fait de ce qu’il écrit, mais seulement s’il les intègre à sa réflexion personnelle, s’il les interprète à la lumière de ce qu’il est. Je ne crois pas qu’on doive avoir un « maître à écrire », ou alors ce qu’on écrit ne sera que la copie en plus pâle de ce qu’écrit ce « maître ». Ce qui peut s’enseigner, en revanche, ce sont les aspects techniques de certains genres de textes. Les techniques de construction d’un roman policier, par exemple. Ou les techniques du scénario. Mais ce n’est pas ce que j’appelle enseigner l’écriture.
Êtes-vous tenté de passer à l’écriture d’un roman ?
Tenter d’écrire un roman serait pour l’instant forcer ma nature, qui me porte naturellement, comme je l’ai dit, au texte court. Je n’exclus pas néanmoins d’écrire un jour un texte plus long, de cent cinquante ou deux cents pages, qu’on ne pourrait pas appeler nouvelle et que donc on appellerait roman, puisqu’il faut toujours ranger un texte dans une case. Mais ce ne serait pas un roman au sens habituel du terme, avec intrigue élaborée et personnages s’entrecroisant. Ce serait un texte mosaïque, un texte puzzle, à la structure éclatée, succession de bribes et de micronouvelles dont la juxtaposition nullement arbitraire formerait un tout. J’y pense régulièrement, et je ne m’y mets jamais.
Quelle serait l’histoire que vous aimeriez écrire ?
Celle dont je n’ai pas encore eu l’idée et qui me permettrait d’exprimer toutes mes potentialités de création, dont, dans mes moments de mégalomanie, les textes que j’ai écrits jusqu’ici ne me semblent que des reflets partiels et imparfaits, bref une histoire qui me permettrait d’écrire le chef d’œuvre dont, toujours dans mes moments de mégalomanie, je rêve, comme toute personne prenant la plume. Autant dire une histoire que je n’écrirai jamais !
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