
C’est tout l’intérêt de cette présence roumaine sur les stands du salon parisien, même si certains écrivains ont refusé de participer au Salon pour protester contre la situation économique et politique de leur pays, comme le rapporte Le Monde. Bon nombre d’auteurs sont traduits en français. Mircea Cartarescu, souvent présenté comme chef de file des nouveaux romanciers roumains, Dan Lungu, Adina Rosetti... Les années qui ont suivi la chute du régime communiste ont, comme pour le cinéma, révélé de nouvelles signatures. Tous ces auteurs ne s’inspirent d’ailleurs pas forcément des années Ceausescu. Beaucoup plantent plutôt leur décor dans la « nouvelle » Roumanie et tout ce qui peut accompagner un pays et une société en recomposition.
George Hari Popescu, professeur à la faculté de journalisme et des sciences de la communication de Bucarest, parfaitement francophone, fait le point, pour le Gaulois nomade®, sur l’édition en Roumanie, et notamment sur la place du numérique.
Le Gaulois nomade® : Quelle est la situation de l'édition en Roumanie ?
George Hari Popescu : On dit que le marché du livre est en baisse en Roumanie, mais les chiffres des maisons d’édition prouvent le contraire. Naturellement, le marché est toujours nostalgique des périodes d’or du livre en Roumanie, 1990–1991, 1994-1995 et 2008. Les petites maisons d’édition ont disparu ou travaillent dans l’obscurité et les grandes maisons concentrent une grande partie du marché.
Les prix encore élevés des livres, le manque de subventions pour l’achat des livres pour les enseignants et les étudiants, les taux encore élevés de TVA pour ce secteur, tout cela transforme, petit à petit, le livre, en un produit de luxe. Les foires du livre de Bucarest voient de moins en moins de visiteurs et les lecteurs se transforment en simples pélerins qui se contentent de regarder les titres et toucher les couvertures. L’achat devient de plus en plus difficile.
En 2012, le marché roumain du livre a baissé de 45 %, selon l’Association des publications littéraires et des maisons d’édition de Roumanie (APLER). Cela a conduit à une réduction dramatique des budgets destinés a la distribution et à la promotion. L’effet positif a été la migration de la promotion traditionnelle vers les médias sociaux. Les lecteurs sont maintenant plus proches de l’activité des maisons d’édition, grâce aux pages Facebook institutionnelles et aux comptes Twitter.
Le marché va certainement baisser en 2013 du point de vue financier, mais il y a encore de la place pour l’innovation, comme l’apparition des clubs de lecture, les lancements de livres non-conformistes, la tendance à se rapprocher du lecteur.
Qu'est-ce qu'un Roumain francophone peut lire à Bucarest ?
À part les livres des bibliothèques et ceux qu’on trouve chez les bouquinistes, pas grand-chose en matière de littérature roumaine contemporaine. Les librairies bucarestoises se contentent d’importer des titres en français et en anglais. Mais ce sont surtout les classiques qu’on trouvent en français ou bien des livres consacrés aux loisirs, comme des manuels de bricolage, des titres de vulgarisation de la science, etc.
Il y a quand-même des efforts : la chaîne de librairies Carturesti a une section de livres en français, la librairie Noi (Sala Dalles) offre des volumes francophones, il y a des sites de commerce électronique de niche (comme http://www.librariafranceza.ro/) etc. Bien sûr, l’Institut français de Bucarest, et ses filiales dans le reste du pays, maintient une bibliothèque bien alimentée et offre d’ailleurs aussi une bonne sélection de la presse française.
Quels jeunes auteurs roumains recommanderiez-vous ?
J’avoue que je n’ai pas eu l’occasion de lire beaucoup de jeunes auteurs roumains. Mais là il y a déjà un problème : c’est difficile d’être publié comme débutant. Les maisons d’édition respectent encore les célèbres “listes” dogmatiques des auteurs consacrés.
Dans la dramaturgie, je remarque Nicoleta Esinencu, une écrivaine née en République de Moldavie. Elle a écrit en 2005 FUCK YOU, Eu.Ro.Pa!, une critique envers le Parlement européen. Sa pièce a gagné le prix spécial “DramAcum”. Adina Rosetti a écrit Deadline en 2010. C’est un livre sur le travail qui peut tuer l’homme moderne, une création considérée comme l’une des meilleures de la littérature roumaine de ces vingt dernières années. Doina Rusti est un autre nom qui me vient sur les lèvres. Elle a gagné six prix littéraires et publié une dizaine de livres et beaucoup d’autres textes dans des ouvrages collectifs. J’admire aussi Razvan Radulescu, qui peut écrire des essais aussi bien que des scénarios de film (La mort de Monsieur Lazarescu) et des romans.
Quelle est la place du livre numérique en Roumanie ?
Très vague, je dirais. Le taux de la piraterie en Roumanie est encore élevé et les maisons d’édition se méfient de la publication de livres au format numérique. Le livre numérique roumain est maintenant exotique et il est une exception parmi les formes de publication classiques. Le ministère de l’Éducation a annoncé son intention de publier les manuels scolaires au format ebook. Quelques auteurs préfèrent sortir en format numérique seulement, mais cela reste une initiative rare.
Selon un sondage réalisé par l’Institut Ivox.ro, fin 2012, environ 6 % des sondés disposent d’un appareil capable d’afficher des livres numériques, mais la plupart ne font pas la différence entre un écran numérique en général et un ebook proprement dit.
Je crois que l’éducation peut beaucoup faire avancer les choses : si les jeunes comprennent l’importance du livre et l’importance de la lecture, ils vont chercher de bons titres et adopteront certainement le livre numérique en lieu et place du livre papier. Mais pour cela il faut motiver les professeurs, donc on a besoin d’investissements. Et on reprend le problème depuis le début...
(Photo : La bibliothèque centrale universitaire de Bucarest)